26 Juil Cover Choc ! #6 🔞 La mise à nu française
Érotisme, nudité, signes religieux, ou encore droits à l’image… La pochette de disque regorge d’anecdotes et d’histoires en tout genre. Au fil des années, bon nombre d’artistes et de groupes ont volontairement (ou involontairement) provoqué les bonnes mœurs et le conformisme. Voici un florilège des pochettes de vinyles que l’histoire a retenues au fil de ces dernières années pour le scandale et la censure qu’elles ont générés.
Episode #6 : la mise à nu française
« Crache Ton Venin », Téléphone (1979)
Avant qu’ils nous reviennent sous le nom Les Insus, la troupe à Jean-Louis Aubert et Louis Bertignac a connu une vie très Rock & Roll. Tout aussi Rock & Roll que la pochette de leur second album, « Crache Ton Venin ».
En 1979, il est temps pour Téléphone de s’affirmer. Après un premier album, certifié disque d’or, qui contenait déjà un single ravageur (« Hygiaphone »), il leur faut continuer à happer et parler à la nouvelle génération française, en abordant dans leurs chansons des thèmes de société. Le jeune Aubert, du haut de ses 24 ans, va signer des textes soignés, qu’il ira même quelquefois chercher dans ses rêves pour les écrire ensuite au réveil. Et voilà que débarque « Crache Ton Venin », enregistré entre Londres et Paris en deux semaines seulement et produit par Martin Rushent, à qui l’on doit les premiers albums des Buzzcocks et des Stranglers. Quant au titre de l’album, il va naître d’une expression que la sœur de Jean-Louis Aubert utilisa à l’encontre de son chat, bien décidé – le jour-là – à manger le poisson. « Crache, crache, crache le poisson ! »
Le groupe Telephone.
Le groupe se produit déjà dans des clubs et petites salles en Angleterre, un pays alors en pleine période Punk. Malgré la féroce volonté du label EMI de propulser le quatuor sur la scène musicale britannique, Téléphone ne rencontrera jamais autant de succès qu’en France.
Alors, pour la pochette de ce nouvel album, rien de tel qu’une image bien Rock & Roll, histoire de réveiller la bonne conscience française n’ayant pas encore véritablement connu la pochette scandaleuse, et profondément choc, à l’instar des pays anglophones qui commencent à être quelque peu habitués à censurer à tout-va. C’est la compagne de François Ravard, alors manager et futur producteur du groupe, qui va apporter un objet coquin tout droit issu du club de strip-tease pour lequel elle travaille. Un simple stylo qui, lorsqu’on le retourne, déshabille la fille qui est imprimée dessus. Le groupe adore le concept et le propose à un ancien directeur artistique de chez Publicis, Jean-Baptiste Mondino, grand futur photographe qui signera quelques années plus tard les pochettes de Prince, Björk, ou encore Madonna (entre autres). Jean-Baptiste, avec beaucoup d’humour, accepte de s’inspirer de ce stylo-gadget pour photographier la pochette du nouveau Téléphone.
Pressage original français de l’album « Crache Ton Venin » publié en 1979 sur EMI.
Et voilà notre groupe en studio pour un shooting photo historique dans le monde du Rock Français. Avec le concept apporté par ce stylo, c’est aussi toute une symbolique qui est véhiculée. Celle, pour Téléphone, de se mettre à nu dans sa musique. L’astuce : réaliser une pochette avec un cache en plastique sur lequel sont imprimés des vêtements noirs. Lorsque l’on coulisse le cache, le groupe se révèle à nos yeux, complètement nu. La séance photo s’effectue donc dans le plus simple appareil, autant pour les membres du groupe que pour le photographe lui-même et son technicien, qui vont jouer le jeu, aidant ainsi le groupe à se décoincer durant ce moment si particulier. Pour une question de ‘laideur’ (tel que l’exprimera plus tard Corine), les garçons coinceront leurs engins entre leurs jambes, leur donnant ainsi un look androgyne. Le groupe sera aussi photographié de dos, à l’aide d’un Polaroïd, mais ces photos finiront par disparaître.
La photo est ainsi prête. On y voit de gauche à droite Louis Bertignac, Jean-Louis Aubert (cachant la poitrine de Corine), Corine Marienneau (s’appuyant sur Jean-Louis), et Richard Kolinka (droit comme un I). Les vinyles sont pressés, et l’album sort fièrement dans les bacs le 2 Avril 1979, d’abord avec sa pochette coulissante, avant d’être réédité quelques mois plus tard en version simple, sans pochette coulissante. Un vinyle rouge de l’album verra entre temps le jour. Puis, en 2015, « Crache Ton Venin » sera à nouveau réédité, tel qu’il avait vu le jour en Avril 1979, avec son cache plastique.
Le premier jour de sa sortie, « Crache Ton Venin » frise le disque d’or en se vendant à 100 000 exemplaires, un véritable record ! Le single « La Bombe Humaine » se propulse rapidement n°1 des ventes, et reste classé 53 semaines d’affilée dans le hit-parade. L’album finira par être vendu à 450 000 exemplaires, raflant au passage un disque de platine. En 2010, Rolling Stone Magazine le classera même 17e meilleur album de Rock Français.
Passage dans le numéro 151 du magazine Rock & Folk en Août 1979.
La photo-choc, quant à elle, sera relayée via un magazine de Rock français où elle fera la première de couverture du numéro 151 d’Août 1979, avec quelques drapeaux français en guise de feuilles de vigne astucieusement placés. On la verra aussi déclinée en page publicité pour promouvoir la tournée. Toutefois, l’image choquera davantage l’Angleterre et les États-Unis. En France, la photographie de Jean-Baptiste Mondino ne choque pas vraiment grand monde… La pochette se censurant elle-même avec son cache plastique, il n’y avait véritablement aucun risque pour le groupe de rencontrer des ennuis.
Avant leur séparation en 1986, le groupe aura comptabilisé pas moins de 500 concerts pour seulement 5 albums studio. Quant à la pochette de « Crache Ton Venin », elle restera à jamais inscrite dans l’histoire du Rock Français et le symbole d’une jeunesse française révoltée qui vibrait au son du Rock. Le Rock de Téléphone.