09 Août Cover Choc ! #8 🔞 Un bébé dans la piscine
Érotisme, nudité, signes religieux, ou encore droits à l’image… La pochette de disque regorge d’anecdotes et d’histoires en tout genre. Au fil des années, bon nombre d’artistes et de groupes ont volontairement (ou involontairement) provoqué les bonnes mœurs et le conformisme. Voici un florilège des pochettes de vinyles que l’histoire a retenues au fil de ces dernières années pour le scandale et la censure qu’elles ont générés.
Episode #8 : un bébé dans la piscine
« Nevermind », Nirvana (1991)
Aujourd’hui, tout le monde connaît l’album « Nevermind » de Nirvana. Et bien entendu, il reste indissociable de sa pochette aux nuances bleu piscine, qui fut largement parodiée au fur et à mesure des décennies. Explosif musicalement, ce second opus d’un groupe déjà bien installé depuis 1987 dans le sillage californien va également exploser les charts, surtout grâce au single « Smells Like Teen Spirit », une phrase empruntée directement à Kathleen Hannah, alors membre du groupe Bikini Kill, qui s’aventura un soir de fête bien arrosée à écrire « Kurt Smells Like Teen Spirit » sur le mur de l’appartement de Kurt Cobain — ce dernier sortait à l’époque avec la batteuse de Bikini Kill (Tobi Vail). Le ‘Teen Spirit’ est, en réalité, un déodorant — encore en vente aujourd’hui — plutôt bon marché, et que Tobi utilisait. Kurt trouve la phrase plutôt stylée et l’utilise naïvement dans sa chanson. Cette phrase taquine envers Kurt deviendra culte lorsque le single sera sur les ondes… Au final, pas moins de 30 millions de copies de « Nevermind » seront écoulées, ce qui fera au passage descendre l’album « Dangerous » de Michael Jackson de son piédestal, avant de devenir l’un des albums les plus vendus dans l’histoire de la musique…
Mais revenons à cette pochette. Dans les années 90, qui pouvait échapper à ce bébé flottant dans un piscine pour y attraper son billet de 1 dollar ? Cette photographie symbolise à elle seule toute une époque, toute une jeunesse des nineties qui deviendra de plus en plus accro au Grunge, ce nouveau genre musical à la mode qui explose commercialement grâce à « Nevermind » ou encore à « Ten » de Pearl Jam.
Pressage allemand du single « Smells Like Teen Spirit » publié en 1991 sur DGC.
Tout démarre le jour où Kurt Cobain, Dave Grohl et Krist Novoselic regardent ensemble un documentaire traitant de l’accouchement dans l’eau. Le groupe se tourne alors vers Robert Fisher, alors directeur artistique chez Geffen, pour lui soumettre une idée pour la couverture de leur album : l’image d’un accouchement. Fisher se rend alors dans une bibliothèque locale afin de trouver des photographies de ce type, mais celles-ci s’avèrent trop réalistes et choquantes pour être utilisées. C’est alors qu’une photographie enregistrée sur une banque d’images professionnelles attire son attention ; on y voit un bébé flottant dans l’eau. Le groupe adhère. Mais — là encore — un problème se pose : la société gérant les droits en demande 7 500 dollars… par an ! Avec l’arrivée du bébé flotteur, on s’approche du but… Toutefois, il manque quelque chose au concept. Kurt propose d’ajouter un hameçon sur la photographie du bébé flottant. Mais quoi y mettre ? Des propositions farfelues vont bon train : un grand steak cru, un CD (ou quelque chose représentant la musique), un burrito, un chien… un billet de 1 dollar… surtout lorsque l’on sait que l’album devait initialement se nommer « Sheep » (‘mouton’), où peut alors s’exprimer la symbolique des moutons courant après un appât… l’appât du gain.
La photo de la banque d’image ne sera finalement pas choisie et, n’étant jamais aussi bien servi que par soi-même, Fisher opte pour une solution radicale : organiser un shooting photo. Pour ce faire, il part à la recherche d’un photographe. En consultant un annuaire spécialisé, dans lequel plusieurs photographes achetaient une page ou deux pour essayer de trouver du travail, il tombe sur une annonce. L’accroche ? « Photographe spécialisé dans les humains submergés ». C’est ainsi que Kirk Weddle, dont la spécialité est effectivement la photographie aquatique, débarque dans le projet.
Kirk se rend à la piscine dépendante du stade Rose Bowl, située à Pasadena en Californie. C’est à cet endroit que le shooting culte sera réalisé. Cinq parents vont alors prêter leur bébé afin que Kirk puisse capter leurs mouvements sous l’eau. Une poupée sera même utilisée pour les tests photo, en compagnie d’un plongeur sauveteur. L’un des bébés, le petit Spencer Elden, âgé de 3 mois, n’est autre que le fils d’un couple d’amis de Robert Fisher. Les parents de Spencer seront payés 200 dollars pour l’utilisation de son image.
Pressage original européen de l’album « Nevermind » publié en 1991 sur Geffen.
Une semaine plus tard, le photographe envoie à Fisher pas moins de cinquante épreuves. Une seule est juste parfaite aux yeux de Fisher. La position, le regard, la façon dont ses bras sont étirés comme s’il cherchait quelque chose… Ce sera cette photo-là ! Reste à y indiquer, ci et là, quelques annotations, comme l’ajout d’un dégradé ou encore l’emplacement du fameux hameçon. Fisher en achète plusieurs, y accroche un billet, prend le tout en photo, avant d’envoyer les hameçons et les polaroïds ainsi obtenus à Kirk afin qu’il puisse s’en servir comme base de travail. L’artwork enfin prêt, Fisher le présente pour la première fois au groupe et à la direction du label. C’est le succès immédiat. Aucun changement ne sera demandé. La pochette de « Nevermind » est née.
Une fois l’album publié le 24 Septembre 1991, la censure est de mise concernant la pochette de « Nevermind ». L’enseigne de supermarché Walmart n’en veut pas. Pour quelle raison ? Tout simplement parce qu’on y voit les parties génitales de ce brave bébé… Un disquaire de la ville de Ventura, en Californie, sera même réprimandé suite à un poster promotionnel de « Nevermind » affiché en vitrine de sa boutique ; un policier lui demande de coller un post-it à l’endroit jugé sensible. Ci et là, les émissions de radio vont bon train, on parle de pédophilie, et la pochette est sujette à rumeurs. Le label avait pourtant préparé une pochette alternative, sans le sexe du bébé — mais elle n’aura pas le temps de voir le jour puisque Kurt Cobain réagira rapidement à ce sujet en concédant que le seul changement qu’il voudra bien accepter pour cette pochette, c’est qu’un sticker soit apposé dessus avec comme mention : ‘if you’re offended by this, you must be a closet pedophile‘ (« si vous vous sentez choqué par ça, c’est que vous devez être un pédophile qui s’ignore ».)
La photographie du singe placée au verso du CD, et sur la sous-pochette du vinyle.
Finalement, les censeurs auraient pu s’intéresser à une autre photo, celle que l’on trouve au verso des pochettes CD et sur la sous-pochette des vinyles. On parle ici de la célèbre photo du singe qui est en réalité un collage, prenant encore plus de sens lorsqu’on la voit en couleurs. Elle a été conçue à partir de photos de morceaux de bœuf cru (tiré d’une publicité d’un supermarché), des images de l’Enfer de Dante et des photos de vagins provenant d’une collection de clichés médicaux. Cachée à l’intérieur de tout ça, une petite photo du groupe Kiss, au-dessus d’un morceau de bœuf.
Le bébé en question — dénommé désormais ‘Nirvana Baby’ — a bien grandi. Il est devenu un artiste, jonglant dans son atelier entre peinture, collage et sérigraphie, largement influencé par le street art et le pop-art. Il déclarera au Herald Sun avoir l’impression d’être la plus grande star porno au monde. Pensez donc, 30 millions de personnes ayant acheté « Nevermind » ont vu son intimité. Si Kurt Cobain était encore en vie, ces deux-là auraient pu se rencontrer à la table d’un restaurant. C’était en tous cas le souhait de Kurt. La pochette, elle, continue de faire des vagues, en posant encore quelques soucis à l’algorithme d’un certain Facebook, qui bannira en 2011 l’image de ses serveurs pour violation des conditions d’utilisation, alors que nous sommes en pleine célébration du vingtième anniversaire de l’album. Quant à l’image du singe, elle aura, semble-t-il, rencontré beaucoup moins de succès… et de censure.