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Banane, Warhol et Velvet Underground

Le Velvet Underground. Ce groupe qui influencera David Bowie à ses débuts, Brian Eno, Bob Dylan ou encore Syd Barrett, a déposé dans les bacs en 1967 un premier album majeur, conceptualisé et produit par Andy Warhol, qui marquera quelques temps plus tard au fer rouge l’histoire de la musique. L’album, qui s’est s’avéré un cuisant échec commercial en 1967, fait aujourd’hui incontestablement partie de ces albums qu’il faut avoir entendu une fois (voire plusieurs fois) dans sa vie. Une sorte de Graal, une pépite incontournable du Psyché Rock. Préparez-vous à apprendre des choses…

 

« Le premier album des Velvet Underground n’a été vendu qu’à 30 000 exemplaires,
mais chacun de ceux qui l’ont acheté a fondé un groupe. » (Brian Eno)

 

« The Velvet Underground & Nico » est un album culte. Difficile aujourd’hui de ne pas l’avoir entendu, ou d’en avoir pas croisé quelques extraits dans sa vie. En cette année 2017, il a fêté ses 50 ans d’existence. Représentatif de toute une époque, c’est aussi un album ultra-controversé en 1967 ; les médias en font timidement l’écho, voire l’ignore complètement. Il faut dire que son contenu est aussi provoquant que l’allusion qu’exerce la banane sur l’avant de sa pochette. On y parle de drogue, de sexe, de prostitution et même de sado-masochisme !

Témoignage temporel unique sur ce que pouvait produire La Factory d’Andy Warhol de plus extravagant, « The Velvet Underground & Nico » est un disque plutôt récréatif, mais absolument pas dénué de sens. Même si l’album est clairement enregistré sous substances, les morceaux sont vraiment réussis. Difficile de ne pas succomber à « I’m Your Mirror » (ici interprété par la mannequin allemande Nico), ou encore « I’m Waiting For My Man », devenu un véritable standard du Rock.

Durant plusieurs années, cet album a été édité et réédité maintes et maintes fois en vinyle. Puis, avec l’arrivée du digital et du CD, il se paye le luxe d’un lifting sonore, Universal Music ayant entre temps racheté le label Verve Records où on été signés à l’époque les Velvet Underground.

Aujourd’hui, ceux qui cherchent à mettre la main sur un pressage vinyle de cet album sont gâtés ; pas moins de 70 versions dans le monde ont été à ce jour recensés (voyez plutôt ici la liste non exhaustive rien que pour le sol américain).

Mais les pressages les plus intéressants nous viennent des Etats-Unis, lieu de naissance artistique du groupe. Et plus précisément les tous premiers pressages sortis d’usine.

En effet, « The Velvet Underground & Nico » fait partie de ces rares albums a avoir bénéficié de trois pressages originaux. Oui, vous avez bien lu : trois pressages originaux ! Mais pour quelle raison ?

 

 

L’affaire Emerson

Pour les puristes, la toute première vague de pressage du vinyle américain est reconnaissable à une simple photographie, celle située au verso de la pochette. Sur cette photographie, captée par la photographe Lisa Law, on y aperçoit le groupe donnant un concert au Trip, en plein Los Angeles. On y aperçoit Lou Reed et John Cale, mais aussi Maureen Tucker à la batterie, la mannequin allemande Nico – qu’imposera Andy Warhol au groupe – ainsi que le bassiste Sterling Morrison).

Sur une toile, située derrière eux, sont projetés à l’aide d’un projecteur de diapositives plusieurs images ‘psychédéliques’ (l’ancêtre du VJ ?). En prenant sa photo, Lisa Law captera l’image d’un homme la tête à l’envers. Cet homme, habitué à fréquenter l’atelier de La Factory, se nomme Eric Emerson. Il est acteur, mais aussi danseur et musicien à ses heures.

La photo publiée au verso de la première édition vinyle en 1967.

 

À la parution de l’album, cette photographie se retrouve imprimée au verso de la pochette du vinyle. Mais Emerson n’apprécie pas cette photo. En effet, il va demander à Verve Records un dédommagement financier pour utilisation frauduleuse de son image. Le label refuse de répondre favorablement à sa demande et préfère rapidement arrêter la production des vinyles, ce qui va aussi participer indirectement à la non-popularité de l’album à sa sortie, le public n’ayant pas le temps de voir passer le disque dans les rayons de son disquaire. Sans le savoir, Eric Emerson vient de bousculer l’histoire. L’édition vinyle issue de cette première vague de pressage sera plus tard baptisée la ‘Torso Cover’ (la pochette ‘torse’) par les collectionneurs.

Un an plus tard, en 1968, le label va mettre en production de nouveaux vinyles affublés de nouvelles pochettes qui, cette fois, répondront à la demande d’Eric Emerson. Verve Records censurera la-dite photographie en l’affublant d’un gros autocollant noir au verso. C’est la période de la deuxième vague de pressage (baptisée aussi la version ‘Lawsuit Threat Cover’).

Le sticker apposé sur au verso de la seconde édition vinyle en 1968.

 

C’est finalement au moment de la troisième vague de pressage que l’image d’Eric Emerson va totalement disparaître. C’est la photographie la plus connue et celle qui sera utilisée sur toutes les futures vagues de pressage suivantes dans le monde. C’est aussi celle qui est utilisée de nos jours.

La troisième photo, retouchée, au verso de la troisième édition vinyle.


Mais encore… ?

Etant donné que ce disque a ensuite bénéficié de nombreuses éditions et rééditions aux Etats-Unis, il devient difficile de toutes les identifier. De plus, en 1967, la période est propice à la pratique des éditions séparées, c’est à dire que l’on fabrique autant de versions mono de l’album que de versions stéréo. Ce qui multiplie les pressages.

On sait toutefois que l’acétate originale fût lancée le 25 Avril 1966 et que les premiers pressages originaux (ci-dessus nommés) ont ensuite été publiés en trois vagues de pressage, plus exactement entre Mars 1967 et début 1968.

Ces trois premières éditions au macaron bleu (référencées toutes les trois sous le numéro V6-5008) ont été produites dans deux régions différentes des Etats-Unis : certains l’ont été sur la côte Est (New York), d’autres sur la côte Ouest (Hollywood).

On compte également deux pressages promotionnels destinés aux D.J., l’un avec un label jaune pour la côte Est et l’autre avec un label blanc pour la côte Ouest).


Deux pressages ‘Hollywood Pressing’. On remarque le changement de couleur des labels. L’autocollant de la banane est aussi plus clair sur l’un des deux.

 

Le macaron bleu de la troisième édition originale américaine.


L’album à la banane

Si Andy Warhol a produit l’album, il s’est également occupé de l’habiller graphiquement parlant. Il fera d’ailleurs tout son possible pour que son projet puisse voir le jour. Il va alors se rapprocher du designer Craig Braun afin de trouver les ressources techniques qui permettront de coller sur tous les pressages vinyles de « The Velvet Underground & Nico » ce légendaire ‘sticker banane’. Une machine spéciale sera même nécessaire afin de fabriquer les stickers.

L’autocollant une fois enlevé de la pochette dévoilait une banane rose. Le symbole est clairement phallique (je vous rappelle que nous sommes en pleine période de libération sexuelle).

A l’époque, beaucoup de gens ayant acheté le disque ont décollé la banane, froissant alors inévitablement le papier de ce dernier. D’autres en revanche, en ont pris soin des années durant. Aujourd’hui, retrouver l’autocollant dans un état correct est une forme de miracle. A ce stade, c’est tout simplement devenu un objet de collection, voire une œuvre d’art, notamment de part son appartenance indirecte au monde du Pop Art (Warhol y est tout de même pour quelque chose dans cette affaire). Sans oublier de citer cette drôle de rumeur prétendant que du LSD se dissimulait dans la colle du sticker…!

La production de bananes décollables va s’étendre jusqu’en 1971, date à laquelle le dessin du sticker va être ensuite simplement imprimé à même la pochette. Fini le ‘sticker banane’ et finie aussi la banane rose.

De nos jours, certaines rééditions proposent à nouveau le sticker ; ce fût notamment le cas en 2012 avec une réédition lancée en Russie par le label ‘Vinyl Lovers’.


Le troisième pressage original américain de l’album « The Velvet Underground & Nico ». Le sticker de la banane est présent et en bon état.

 

Le copyright de la banane

Un an avant sa mort, Lou Reed accompagné par John Cale ont tous deux déposé plainte contre la Fondation Warhol reprochant à cette dernière d’utiliser à tort l’illustration de la banane sur des produits dérivés, notamment pour des coques d’iPhone ou d’iPad. Une licence juteuse rapportant, selon l’agence Bloomberg, pas moins de 2,5 millions de dollars par an à la fondation !

Les deux ex-membres du groupe sont simplement partis du principe que cette œuvre de Warhol était devenue, avec les années, l’emblème même du Velvet Underground et que, du même coup, la fondation n’était plus en droit de l’utiliser. Mais la plainte fût simplement rejetée aux deux musiciens.

Quelques produits dérivés dont Lou Reed n’était pas grandement fan…

 

Le bilan, 50 ans plus tard…

En faisant le bilan, on peut se rendre compte à quel point cet album a compté dans l’histoire de la musique. Bon nombre de groupes ont été influencés par « The Velvet Underground & Nico ». Ecoutez « No Surprises » de Radiohead et vous entendrez un peu du morceau « Sunday Morning » à l’intérieur. L’un des musiciens de Kraftwerk a même un jour décrit la musique de Joy Division comme du « Velvet Underground avec des synthétiseurs« .

Deux membres de R.E.M. (Michael Stipe et Pete Buck) sont amoureux du premier album du groupe, tout comme l’était David Bowie de son vivant. On peut encore citer de nombreux autres enfants du Velvet : parmi eux The Strokes, The Kooks, Sonic Youth, Arctic Monkeys, ou encore Nirvana.

« The Velvet Underground & Nico » est une sorte de manifeste du Rock indépendant. Une passerelle importante entre la période hippie et les prémices du Punk. Pour la première fois dans les années soixante, on osait ce que Les Beatles ou encore Bob Dylan ne faisait qu’effleurer.

Lou Reed nous a quitté le 27 Octobre 2013. Sterling Morrison meurt d’un cancer lymphatique en 1995. Quant à la mannequin allemande Nico, elle décède en Juillet 1988 sur l’Île d’Ibiza en Espagne. Aujourd’hui, John Cale et Maureen Tucker sont les deux seuls survivants de cette grande aventure. L’histoire retiendra enfin la reformation totale du groupe pour assurer la première partie de la tournée européenne de U2. C’était à L’Olympia, en 1993.