11 Sep What The FNAC ?! 😱 ou l’invasion des vinyles couleur
Pensez-vous détenir un trésor en achetant un vinyle couleur à la FNAC ? Ces éditions ‘spéciales’ remplissent les bacs des disquaires et parasitent l’existence de notre bonne vieille galette noire au travers de stratégies marketing. Les vinyles couleur sont-ils vraiment exclusifs en 2020 ? Voici mon éclairage sur la situation.
Je le constate tout comme vous. Le vinyle a deux visages. Celui d’un support musical avec toutes les valeurs qu’il transporte. Et, de l’autre, celui qui est devenu, au fil des années, un argument commercial. Cette dualité est d’autant plus vérifiable en 2020.
Internationalement, n’avez-vous pas l’impression que bon nombre d’albums récents héritent une fois sur trois d’une édition vinyle couleur à leur lancement ?
La mode étant un cycle, cette frénésie du vinyle couleur me rappelle une tendance survenue à la fin des années soixante dix. À l’heure disco et en plein deuxième choc pétrolier, le vinyle couleur vit une accélération.
Les plus aficionados d’entre vous se souviendront sûrement des nombreux maxis 12″ parus chez EMI. Pas moins d’une vingtaine de vinyles couleur avaient été proposés au catalogue du label sous la série DC (Disque en Couleur) ; parmi eux, « The Dark Side Of The Moon » en vinyle transparent, « News Of The World » de Queen en vinyle vert ou encore « Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band » des Beatles en vinyle bleu.
Écartons tout de suite l’idée reçue comme quoi un vinyle couleur sonne mieux qu’un vinyle noir. D’ailleurs, la couleur naturelle du vinyle n’est pas le noir ; c’est simplement la couleur qui a été industriellement choisie afin de mieux distinguer les différentes pistes qui y sont gravées (essayez de détecter les pistes sur un vinyle blanc, vous allez adorer !)
Exemple de sticker ‘Fnac Exclusivité’
Du pur marketing dans nos vinyles
En 2020, rien ne semble avoir changé, si ce n’est une bonne dose de marketing qui s’est subtilement installée dans les bacs au fur et à mesure des années.
Prenons par exemple la rentrée 2020 d’une chaîne de magasins comme la FNAC. Il suffit de regarder le nombre de vinyles couleur qu’elle propose en précommande. Dans le lot, on y trouve plusieurs références – qui n’en sont d’ailleurs pas à leur première publication en vinyle. Rajoutons les nouveautés à toutes ces références rééditées, et on obtient 72 vinyles couleurs sur les 498 vinyles en précommande, ce qui représente environ 15 % du listing.
Là où cela devient ironiquement amusant, c’est le terme ‘exclusivité’ ou ‘limité’ qui est inévitablement accolé à ces vinyles couleurs. La plupart du temps, c’est un argument commercial, à l’image du terme ‘180 grammes’ qui tente de séduire l’âme ‘audiophile’ des consommateurs (ndla : je vous invite, par ailleurs, à lire un de mes billet d’humeur à ce sujet).
Si l’on n’y prête pas vraiment attention, une édition ‘exclusive’ ou ‘limitée’ peut rapidement paraître inédite. Je vais vous décevoir : il n’en est rien. Surtout en Europe.
La FNAC et ROUGH TRADE proposent exactement le même vinyle exclusif.
Revenons auprès de notre chaîne de magasins FNAC, et étudions ce cas d’un plus près.
Saviez-vous que, lorsqu’un vinyle couleur est indiqué comme une ‘exclusivité FNAC’, il est souvent possible de le retrouver dans un autre pays ? Par exemple, l’album « Disco » de Kylie Minogue en vinyle bleu (estampillé ‘exclusivité FNAC’ en France) est proposé en même temps au Royaume-Uni dans les boutiques HMV. Étonnant ? Pas vraiment. La raison : une distribution européenne, dont l’exclusivité en est la finalité, orchestrée par les labels auprès de plusieurs chaînes de magasins ciblées.
Bien sûr, ces magasins ne sont jamais à l’abri de quelques couacs de leurs fournisseurs, à l’image de cette réédition vinyle du légendaire album à la banane par The Velvet Underground qui arrivera ‘jaune fluo’ dans les chaumières alors que les clients l’attendaient impatiemment sous une édition ‘jaune-noir splatter’, comme l’annonçait le visuel à la précommande.
Une erreur de couleur de vinyle pas vraiment passée inaperçue auprès des clients.
L’exclusivité nord-américaine
Qu’en est-il du continent américain ? À ce niveau, sachez que les labels utilisent la même ruse de distribution que pour le marché européen, mais en s’adressant à des terres bien mieux gardées.
C’est ainsi que, du côté des États-Unis, des magasins comme Walmart ou Barnes & Noble (inexistants en Europe) sont, aux yeux des collectionneurs, de véritables temples du vinyle exclusif. Ces magasins reçoivent de la part des labels des vinyles fabriqués uniquement pour eux.
Cette forteresse est d’autant mieux gardée qu’une politique domestique y est appliquée, autant en magasin que sur internet. En d’autres termes, ces vinyles exclusifs sont précommandables ou livrables uniquement aux États-Unis (à moins d’avoir une connaissance qui réside aux pays de l’Oncle Sam, les Européens devront se consoler sur le marché de l’occasion pour retrouver ces exclusivités).
Internet, vivier des vinyles couleur
Internet change également la donne. Pour les labels, le merchandising s’y avère très rentable. Certains d’entre eux ne jurent d’ailleurs que par le web, et il n’est pas rare de croiser des vinyles exclusifs uniquement disponibles sur le site officiel des artistes. Ainsi, si l’on se rend sur le site officiel de Kylie Minogue, l’album « Disco » est proposé sous une version ‘Store Exclusive’, en vinyle blanc transparent.
Pour répondre à cela, le géant Amazon propose, lui aussi, depuis quelques années des vinyles exclusifs estampillés ‘Amazon Exclusive Vinyl’. On y retrouve ainsi le même album de Kylie dans une version vinyle turquoise du plus bel effet.
Autre fait étonnant, la firme de streaming Spotify propose de temps à autre à ses abonnés des vinyles exclusifs via sa liste #FansFirst.
La version exclusive de « Disco » sur Amazon
L’Indie Retail
Il existe aussi un autre penchant du marché de l’exclusivité. On le nomme ‘Indie Retail’ ou ‘Indie Exclusive’. Si les clauses de distribution de ce marché sont correctement respectées, ces exclusivités se retrouvent uniquement dans les bacs des disquaires indépendants, et non pas chez des grandes enseignes.
Un excellent exemple pour l’illustrer est le cas du vinyle exclusif de l’album « Such Pretty Forks In The Road » d’Alanis Morissette qui fut fabriqué au Canada pour le Canada en édition couleur ‘Coke-Bottle Clear’ pour une vente domestique. Le vinyle, limité à 500 exemplaires, a été uniquement distribué auprès des disquaires indépendants du pays. Le terme ‘exclusivité’ prend alors tout son sens lorsque ce type d’édition devient sold out. Pour se le procurer en Europe, il fallait aller vite et faire marcher son réseau. Il est ensuite courant de retrouver ces vinyles en occasion à des prix… exorbitants.
La version ‘Indie Exclusive’ canadienne de l’album « Such Pretty Forks In The Road ».
Le cas Record Store Day
Le Record Store Day est un cas intéressant. Même si l’événement a été créé pour soutenir internationalement les disquaires indépendants au travers de la scène musicale indépendante, il existe en catalogue un léger pourcentage de références issues des majors. Tout collectionneur aguerri décèle, chaque année, cette guerre des deux clans.
En France, les majors y injectent des vinyles couleur et autres picture discs d’artistes français dans un vaste catalogue d’artistes indépendants. Une fois de plus, les majors connaissent leur force de frappe. Elles disposent d’artistes populaires à leur catalogue. D’une certaine manière, elles attisent la curiosité de certains aficionados du vinyle afin qu’ils se rendent chez leur disquaire.
Collectionneurs colorés
Même les collectionneurs qui ne veulent pas tomber dans le tourbillon marketing du vinyle couleur ou du vinyle exclusif y succombent d’une manière ou d’une autre. Pourquoi ? Tout simplement parce que, statistiquement et historiquement, les labels savent précisément quels albums n’ont pas encore été édités en vinyle. Ils surfent alors sur le marché de la demande. Il leur suffit d’y ajouter la phrase ultime : « For the first time on vinyl » (« pour la première fois en vinyle« ) et le tour est joué !
En tant que collectionneur, je ne peux que constater que ma collection a été envahie de vinyles couleurs tout au long de ces dernières années. La question que j’ai fini par me poser est de savoir si, en fin de compte, dans ce flot de couleurs, les variantes en vinyle noir ne seraient-elles pas les variantes les plus exclusives ?