05 Juil Cover Choc ! #3 🔞 Jeune fille et controverse
Érotisme, nudité, signes religieux, ou encore droits à l’image… La pochette de disque regorge d’anecdotes et d’histoires en tout genre. Au fil des années, bon nombre d’artistes et de groupes ont volontairement (ou involontairement) provoqué les bonnes mœurs et le conformisme. Voici un florilège des pochettes de vinyles que l’histoire a retenues au fil de ces dernières années pour le scandale et la censure qu’elles ont générés.
Episode #3 : Jeune fille et controverse
« Blind Faith », Blind Faith (1969)
‘Foi Aveugle’. Voilà le terme que Eric Clapton choisira pour son nouveau supergroupe de l’époque : ‘Blind Faith’, composé par deux anciens de Cream (que sont Clapton et Ginger Baker), mais aussi de Steve Winwood et Ric Grech. Mais si les aficionados de Slowhand ont forcément croisé ce nom étrange, d’autres n’en connaissent pas forcément l’origine.
En dehors de sa signification religieuse, ‘Blind Faith’ est surtout le nom donné à une photographie, qui illustrera le seul et unique album du groupe publié en 1969, et qui — ironie du sort — s’en tirera N°1 des ventes des deux côtés de l’Atlantique. Le problème ici n’est pas le contenu musical en soi, qui s’avère être une petite perle sonore, comme il s’en faisait beaucoup à l’aube des années 70. Non. Ici, c’est plutôt une certaine photographie qui va davantage provoquer et surtout déranger.
Réédition américaine de l’album « Blind Faith » publiée en 1977 sur RSO (Pitman Pressing).
Même si nous sommes en plein essor sexuel en cette période ‘woodstockienne’, rien n’exclut une limite morale. C’est d’ailleurs armé de cette ligne de conduite que le label Polydor refusera à Eric Clapton la publication de cet album tant que cette photo fera partie du projet. Mais Clapton défendra cette photographie coûte que coûte, avec un simple chantage : pas de photo, pas de disque. Finalement, il obtiendra l’accord du label de publier l’album avec cette photo en guise de pochette.
De quoi parle-t-on exactement ? Pour bien comprendre l’inévitable censure attribuée à cette pochette, il faut en connaître l’histoire. Tout commence lorsque Eric Clapton contacte — via sa société de management — son ami photographe américain Bob Seidemann qui, dans son portfolio, compte déjà Janis Joplin ou encore Grateful Dead, et œuvrant majoritairement auprès de la scène psychédélique de San Francisco. On lui propose d’illustrer l’album du nouveau supergroupe éphémère de Clapton, qui ne porte pas encore de nom.
Bob Seidemann rentre alors dans une période de réflexion ; l’année 1969… l’innocence face aux nouvelles technologies qui débarquent… l’arbre de la connaissance… et surtout la mission Apollo 11 qui s’apprête bientôt à envoyer les premiers terriens sur la Lune… Tous ces points de repère se mélangent et donnent finalement naissance à une idée de mise en scène photographique : le vaisseau spatial serait le fruit de l’arbre de la connaissance, et la fille, le fruit de l’arbre de vie. En somme, l’innocence porte la connaissance. Vaste programme… Espérant que ce projet visuel arrive dans les bacs en même temps que le décollage de la fusée américaine prévu en Juillet 1969, Bob se met au travail et contacte d’abord Mick Milligan, étudiant en bijouterie au Royal College Of Art à Londres, qui va concevoir une maquette d’avion moulée en bois et recouverte d’une laque argentée brillante.
La maquette d’avion réalisée par Mick Milligan.
Puis, Bob part à la recherche d’une jeune fille qui pourra poser avec cette maquette en main. Alors qu’il se rend en métro chez Polydor pour présenter son projet, il tombe exactement sur le type de fille qu’il recherche. Elle a 14 ans, elle se prénomme Sula. Bob lui propose une session photo, tout en prenant soin de lui laisser son numéro. Elle reprendra contact avec lui. S’en suivront une rencontre et une discussion avec Bob et Stanley ‘Mouse’ Miller chez les parents de la jeune modèle, dans le quartier huppé londonien de Mayfair. En dernière minute, trop timide, Sula refuse de poser topless devant l’objectif, et c’est finalement sa sœur cadette, alors âgée de 11 ans et répondant au nom de Mariora Goschen, qui acceptera la proposition, appuyée par ses parents, eux-mêmes convaincus par l’exercice artistique du projet. En échange, la petite Mariora demandera un cheval… mais la société de management de Clapton (géré par Robert Stigwood) préférera payer 40 £ à ses parents afin que Bob puisse accéder à cinq minutes de session photo avec elle dans un studio adjacent au Royal College Of Art.
Le photographe Bob Seidemann, lors de l’exposition « Who Shot Rock & Roll » à Brooklyn en 2009.
Une fois l’album publié, la photographie fait évidemment scandale. Entre-temps, elle a été affublée d’un grossier montage ; une prairie verte et un ciel bleu en guise d’arrière-plan, le tout capté dans le Dorset. Dans le monde, on murmure que la fille en question est une groupie séquestrée par le groupe, ou encore la fille illégitime du batteur. Bob prendra tout de même soin de ne pas divulguer le nom de Mariora, jusqu’en 1994, année durant laquelle elle accordera une première interview à un journal anglais après de longues années de silence. Elle y avoue que, en 1969, la nudité ne la dérangeait pas, même si — à l’époque — on la reconnaissait dans la rue. Accessoirement, elle ironisa toujours attendre que Eric Clapton l’appelle pour lui offrir son cheval ! N’ayant jamais rencontré un seul des musiciens, elle est depuis devenue thérapeute, pratiquant des massages shiatsu et de l’acupuncture.
À sa sortie, le vinyle de l’album de ‘Blind Faith’ a été publié avec le nom du groupe imprimé à même le ‘wrapper’ (la pochette plastique de protection). Durant un temps, le label réussira quand même à censurer cette photographie sur le sol américain et c’est le verso de la pochette qui deviendra la pochette principale. Quoi qu’il en soit, le coup de publicité dans le monde est énorme et participe, d’une certaine manière, au succès de l’album qui se vendra à 1 million d’exemplaires rien qu’en Amérique, se certifiant au passage disque de platine. La maquette d’avion portée par Mariora sur la pochette fut longtemps conservée par Ginger Baker dans sa maison familiale, avant d’être finalement adjugée vendue en 2014 à plus de 8 500 € aux enchères Bonhams.
Quant au rêve de Bob de faire coïncider les premiers pas de l’Homme sur la Lune avec la publication de sa photographie, c’est peine perdue. L’équipe d’Apollo 11 se posera en Juillet 1969 sur la Lune. L’album de ‘Blind Faith’, lui, débarquera dans les bacs en Août 1969.